vendredi 6 juillet 2012

LE NÉFLIER



En arrosant le bout de jardin de la maison où je suis installé, je redeviens souvent un enfant dans un jardin à Taroudanete,[1] au Maroc.
C’était en 1957-1958,[2] je crois.[3]
Nous habitions une maison de fonction avec un magnifique jardin.
Dans mes souvenirs, il est encore plus que cela.
Des fleurs de toutes les couleurs partout.
Des orangers, des citronniers, des bananiers, des arbres dont je ne connais même pas le nom, des plantations diverses, variées.
Un enchantement.
Et la musique de l’eau.
De l’eau, Nous avons fait toute chose vivante nous dit Allaah.
Le jardin disposait d’un système d’irrigation fait de « saagyaate ».[4]
La terre accueillait cette eau avec bonheur et j’étais heureux de tenir compagnie aux plantes qui se désaltéraient avec joie.
Une bénédiction.
C’était le début du Maroc de « l’indépendance dans l’interdépendance ».[5]
Mon père avait été nommé à un poste « important » et nous habitions alors cette maison de fonction avec le magnifique jardin.
Avant nous, la maison était occupée par une famille de colonialistes de France.
La France, pays où je suis installé dans la maison avec le bout de jardin.
J’arrose et je sens le bonheur de la terre accueillant l’eau.
Et je suis heureux de partager la joie des plantes qui se désaltèrent.
Une bénédiction.[6]
Avant l’arrosage, j’ai semé, comme je l’ai fais il n’y a pas très longtemps, des graines de « qzbour »,[7] non loin du petit « carré » de « n’enaa’e ».[8]
Pendant l’arrosage, j’ai passé un long moment à observer le néflier[9] planté tout petit, qui avait bien pris, mais qui s’était mis subitement à décliner, atteint d’un mal qui aurait pu l’anéantir.
Il a résisté et s’élance de nouveau vers le ciel, par la grâce d’Allaah.
En l’arrosant, j’ai peut-être eu comme l’impression de voir un enfant joyeux sous une douche fraîche l’été.
Il m’est arrivé d’arroser mes deux fils qui en redemandaient.
Je pense à mes petits enfants qui, un jour ine chaa-e Allaah,[10] utiliseront ce bout de jardin pour jouer, observer, cultiver, arroser.
Je remercie Allaah pour Ses innombrables bienfaits.[11]



BOUAZZA


[1] Le r roulé, Taroudant.
[2] Selon le calendrier dit grégorien.
[3] Nous avons presque toujours eu des maisons avec de beaux jardins, mais souvent, c’est  à celui de la maison de Taroudanete que je pense.
Je pense aussi à la basse cour que nous avions dans ce jardin.
Elle était fabuleuse.
Je me revois, contemplant, derrière le grillage, sans jamais me lasser, les coqs, les poules, les poussins, les pigeons, les lapins et deux béliers qui avaient d’impressionnantes cornes, prenaient du recul, chacun face à l’autre, couraient à toute vitesse, et se tapaient les têtes.
Ils avaient l’air d’apprécier ce genre de sport, car ils y avaient recours pendant des moments assez longs.
Dans mon esprit, l’un représentait mon père et l’autre ma belle-mère.
Allez savoir pourquoi !
Je contemplais aussi le dindon qui, avec sa manière de se gonfler tout le temps m’impressionnait.
J’aimais regarder les canards qui jouissaient de l’eau d’un petit bassin avec une satisfaction communicative.
Ce spectacle m’enchantait.
Aujourd’hui encore, j’aime observer les animaux et des canards qui s’ébrouent dans l’eau, me transportent de joie.
Mon père a toujours eu des animaux à la maison (coqs, poules, poussins, pigeons, canards, dindons, dindes, lapins, moutons, vaches, chiens de garde et de chasse , chats …).
Il m’est arrivé cependant, avec des enfants, de maltraiter des animaux.
Je fais des invocations pour qu’Allaah me pardonne mes égarements et me couvre de Sa miséricorde.
[4] Swaaguii, swaaqii, pluriel de saagya, saaqya (qui irrigue, rigole).
[5] L’indépendance dans l’interdépendance a été octroyée au Maroc par le colonialisme français en 1956.
J’avais six ans.
Dans les colonies (même si les colonialistes parlaient de protectorat pour le Maroc), ce statut s’est traduit par la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces "États", dont ceux dits ″musulmans″ comme le Maroc, sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge, le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture, l’enfermement, la négation de l’être humain.
[6] J’apprécie l’horticulture, sans toutefois m’acharner à retenir les noms donnés aux différentes plantes.
J’utilise souvent le terme fleurs pour les désigner dans leur diversité.
Pour la pâtisserie que j’apprécie beaucoup, le terme gâteaux m’évite de peiner à vouloir apprendre les multiples appellations.
Mon épouse qui aime jardiner, s’intéresse à l’horticulture et tient par contre à appeler chaque fleur par le nom qui lui est donné.
Pour la pâtisserie, c’est pareil.
L’art floral, qui est pour elle l’art de cultiver le jardin, de le soigner, de le bichonner, lui procure autant de plaisir que l’art de faire des gâteaux, de cuisiner.
La manière dont elle travaille la terre ou la pâte, ou dont elle cuisine, est emprunte du même plaisir et de la même joie.
[7] Coriandre.
[8] Menthe.
[9] Il était dans un petit vase lorsqu’il m’a été vendu par une asiatique un jour de brocante.
[10] Si Allaah veut.

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