lundi 18 février 2013

BOULIER



Dans la chambre où je dors, sur l’étagère du côté gauche du lit,[1] parmi quelques objets divers, figure un petit boulier avec un cadre en marbre et des boules en cuivre je crois.
Je l’ai acheté il y a plus de vingt ans[2] dans une brocante en Angleterre lors d’un séjour avec mon épouse et nos enfants.
Il m’a plu et son prix de vente était plus que modeste.[3]
Je n’ai jamais cherché à étudier comment il s’utilise.
Lors d’un voyage en Chine,[4] j’ai constaté que le boulier, outil[5] de calcul, servait encore.
Mais cela ne m’a pas plus poussé à vouloir l’utiliser.
Je le regarde de temps à autre et je pense à ma correspondante anglaise, à son époux, à leurs enfants, à leur famille.
Aujourd’hui, cette correspondante et son époux sont grands-parents.
Mon épouse et moi, aussi.
J’avais dix huit ans au départ de notre correspondance.
J’étais lycéen à Faas,[6] au Maghrib.[7]
Elle avait quinze ans.
Elle était dans un établissement secondaire à Accrington, dans le Lancashire.
Nous nous écrivons toujours, nous nous téléphonons et nous nous voyons.
Une relation qui dure depuis quarante cinq ans.[8]
Elle a débuté en 1968.
J’avais commencé à étudier l’anglais au collège, à Lkhmiçaate.[9]
Tout de suite, comme beaucoup de camarades, je m’y étais intéressé et je m’amusais avec eux parfois, lorsque nous apprenions un mot, à le reprendre en le traduisant en arabe littéraire, en arabe dialectal, en berbère et en français.
Why ? Limaadaa ? ‘laache ? Mmaakh ? Pourquoi ?
Nous apprenions l’anglais comme dans une sorte de jeu.
Lorsque le professeur,[10]nous faisait répéter des mots ou des expressions, nous nous amusions à trouver quelque chose qui a la même consonance en arabe par exemple :
confortable : kane ftbl.[11]
Full : foule.[12]
Isn’t il ? Znntite ?[13]
Les rires fusaient, gagnaient toute la classe.
Un feu d’artifice.
Le professeur, ignorant notre jeu, se désolait de nos « rires imbéciles ».
Il m’arrive parfois de penser avec douceur à ces rires multi-langues, rires joyeux, et je revois des visages en me demandant ce que sont mes camarades devenus.
Les verbes irréguliers[14]n’étaient pas mon verre de thé à la menthe.[15]
Cela ne veut pas dire que j’étais moins bon à l’écrit.
Nous nous amusions moins c’est sûr, mais l’écrit ne me déplaisait pas.
Avec ma correspondante, il m’est même devenu agréable.
Nous nous sommes vu plusieurs fois, en Angleterre et en France.
Nos enfants connaissent bien les enfants et des petits enfants anglais.
Nos petits enfants auront peut-être l’occasion de les connaître.
La relation continue.
Toujours dans le respect et la sincérité réciproques.[16]


BOUAZZA


[1] Lorsque je suis dans le lit.
Il y a aussi l’étagère du côté droit, lorsque je suis dans le lit également.
[2] En 1991, selon le calendrier dit grégorien.
[3] Ce n’était pas encore l’euro, et je l’ai payé l’équivalent de quelques francs français.
[4] En 1992.
[5] Très ancien.
[6] Fès.
[7] Maroc.
[8] J’en ai parlé il y a quelques années.
[9] Khémisset.
[10] Homme ou femme.
[11] Il était dans le tambour.
[12] Fèves.
[13] La queue d’un animal (extrémité de son corps).
[14] Je ne me souviens même plus de leur forme″.
[15] D’autres disent : ma tasse de thé.

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