vendredi 8 février 2013

UN HOMME



Depuis sa retraite, il fait souvent le navette entre la région parisienne, région dite d’accueil, et almaghrib,[1] dit pays d’origine.
Après quelques mois passés là-bas, il a retrouvé, il n’y a pas longtemps ici, son épouse,[2] a pu voir ses enfants,[3] ses belles filles, ses beaux fils et son petit-fils, qui va bientôt avoir un an ine chaa-e Allaah.[4]
Il est arrivé il y a de nombreuses années dans cet ensemble de bâtiments dits « sociaux » désigné par le vocable « cité »,[5] pour personnes reléguées en marge de la ville.
Une « cité » où des entreprises parquaient des salariés des « colonies », en grande majorité « noraf »,[6] donc « arabes », c'est-à-dire « musulmans », et où des services « sociaux », dans un esprit dit de « diversité »,[7] y envoyaient des « cas » dont les dossiers avaient été « favorablement examinés par la commission compétente ».
Avec le temps et l’extension des programmes « urbanistiques », le terrain sur lequel est posée la « cité », a commencé à attirer les convoitises.
Il fallait faire le vide.
Presque tous les résidents ont été obligés d’aller ailleurs, dans des « cités » d’où ils seront chassés plus tard pour « rénovation » ou autres.
Les appartements ont été murés au fur et à mesure du départ des occupants et le côté dépotoir, désagrégation et décomposition de la « cité » a été consolidé afin de pousser les restants à dégager.
Il n’a pas dégagé.
Il est resté avec son épouse.
Et quelques autres.
Les enfants sont partis.
Ils avaient l’âge de le faire depuis un certain nombre d’années déjà, mais ne le faisaient pas pour mille et une raisons.
Il attend que des associations de la « Mairie » », subventionnées par la « droite » ou par la « gauche », lui fassent des propositions « décentes » de relogement pour ses vieux jours avec son épouse si Allaah prolonge leur existence ici-bas.
De temps à autre, pour ne pas déroger à la « tradition », certaines « cités » pour « immigrés »[8] sont investies par des «forces de l’ordre» en armes, et des «journalistes» – convoqués pour la circonstance – armés de préjugés, d’appareils photos et de caméras.
Couvre feu.
État de siège.
Il faut mettre au pas les «sauvageons»[9] et la «racaille»,[10] neutraliser les meutes des «hors-la-loi», présenter le « travail » accompli pour défendre «la République et les Droits de l’Homme», montrer les coups de filet dans l’intérêt de la «Liberté» et de la «Civilisation».
Des commentateurs et tateuses, diffamateurs et mateuses, chroniqueurs et niqueuses, collaborateurs et rateuses, discoureurs et coureuses, chieurs et pisseuses, serviteurs et viteuses de magnats de médias dont ils exécutent les ordres, déversent des mots brouillés, salis, enlaidis, abîmés, falsifiés, contaminés, détournés, souillés, trahis, dénaturés, pourris, nauséabonds afin d’entretenir l’ignorance,[11] en agissant pour la conne science universelle.[12]
Des images accompagnent souvent ce vomi.
Il a commencé son existence ici-bas de l’autre côté de la mer blanche intermédiaire,[13] au Maroc colonisé par la France et l’Espagne, divisé entre les intérêts de différents États colonialistes.
Il était encore « tout petit » lorsque la proclamation de « l’istiqlaal »[14] a eu lieu, « l’indépendance dans l’interdépendance ».[15]
Quelques années plus tard, il a été débarqué en France pour travailler comme ouvrier dans l’automobile.
Il est donc important de remonter au moins à la période colonialiste, pour essayer de réfléchir sur le parcours de cet homme.
En négligeant cette donnée, comme beaucoup le font, il n’est pas possible de saisir la situation dans ses différentes composantes, et d’essayer une lecture se rapportant à la transplantation d’êtres de sociétés rurales, d’êtres colonisés, maintenus dans l’ignorance, dépossédés, sans moyens, dans des sociétés industrialisées qui imposent leur diktat.
Avec ce qui a été appelé « le processus migratoire », des questionnements relatifs au colonialisme sont donc incontournables.
C’est parce que les industriels avaient besoin des indigènes, que des représentants de ces industriels se rendaient dans les colonies pour ramener des ouvriers par milliers.
La France – et différents États colonialistes – a eu des recours massifs à des Africains et autres, pas seulement pour la main d’œuvre des chaînes de fabrication des voitures.
En débarquant dans la région parisienne, il a été installé, avec d’autres indigènes du Maroc dans un champ en dehors de l’agglomération avec une sorte de construction dite « foyer des travailleurs » où il revenait le soir, après une journée sur les chaînes automobiles.
Un certain nombre de ces travailleurs a été autorisé, au courant des années soixante dix, dans le cadre dit du regroupement familial, à faire venir femme et enfants.
Il en faisait partie.
Comme lui, son épouse est originaire du Nord du Maroc.[16]
Une région dont les luttes pour la dignité humaine, n’ont jamais cessé.
Dans les années vingt par exemple, face à la résistance victorieuse des indigènes, le colonialisme hispano-français,[17] soutenu par d’autres, a mobilisé une soldatesque de plusieurs centaines de milliers d’hommes, avec des moyens de destruction des plus sophistiqués[18] à l’époque.
Horreurs.
Terreurs.
Carnages.
Abjections.
Orgies exterminatrices.
Avilissements.
Le criminel Pétain,[19] qui a dirigé les opérations, s’est illustré dans les massacres.
Le sinistre Franco[20] a fait ses premières classes d’assassin à cette époque.
Le colonialisme et l’impérialisme ont modifié des modes de vie de populations colonisées et dominées.
Des massacres ont été perpétrés.
Des crimes multiples.
Des pillages.
Des usurpations.
Des tortures.
Des viols.
Des transgressions sans nombre.
Des humiliations.
La terreur.
La désagrégation planifiée.
Le désarroi répandu.
Les déséquilibres provoqués.
L’harmonie mutilée.
La mémoire infectée.
La décomposition alimentée.
Des modes d’organisation ont été transformés.
D’autres critères ont été introduits.
Un nouvel ordre des choses a été instauré avec des données qui ont contribué à changer la réalité et les représentations.
Les « empires coloniaux » ont peut-être disparu, mais pas les effets du colonialisme et les méfaits du système colonialo-impérialo-sioniste.
Ce système impose à des populations entières de par le monde de chercher des moyens de subsistance dans des conditions inimaginables.
Beaucoup parmi elles, rurales, se sont trouvées dans des faubourgs de villes nouvelles coloniales, contraintes de s’adapter à des modes de survie dans des bidonvilles.
Ces populations ont connu la transplantation forcée dans leur pays d’origine, avant qu’elles ne soient poussées à le quitter parfois.
Ce système qui sévit toujours, a accéléré les migrations vers les métropoles.
Les forces de l’oppression ont installé des serviteurs dits « dirigeants » des « états souverains du tiers-monde » dont le rôle principal est de défendre par tous les moyens « l’indépendance dans l’interdépendance. »
Des années après l’octroi de « l’indépendance dans l’interdépendance » au pays où il a commencé son existence ici-bas, il a été contraint à l'exil.
« L’indépendance dans l’interdépendance » a prévu pour lui le salariat en France, sur les chaînes de l’industrie automobile.
Et même pour ça, il fallait être « pistonné ».
Un « intermédiaire » se chargeait de sélectionner les partants pour la France.
Autrefois, cet « intermédiaire » travaillait comme subalterne dans un service de « maintien de l’ordre ».
Il a bien connu un colonialiste du BAI (Bureau des Affaires Indigènes).[21]
Ce colonialiste a réintégré la métropole et s’est illustré dans le domaine des « musulmans nord africains »[22] qu’il appelle aussi les bougnoules, les melons, les ratons, les terroristes[23], la merde.
C’est un « spécialiste » du « maintien de l’ordre ».
Le subalterne devenu lui aussi un personnage « important » avec « l’indépendance dans l’interdépendance », trouve auprès du colonialiste le soutien nécessaire afin de procéder à la traite des salariés, tenus de payer pour « services rendus ».
Le colonialiste touche sa part comme d’autres à la « tête de l’état » exportateur de main d’œuvre.[24]
Tout cela fait partie de son l’histoire de l’homme exilé, de celle de son épouse.
Une histoire très ancienne.
Des moyens dits « d’information », c'est-à-dire des médias aux ordres, ne parlent des « immigrés » que pour leur attribuer tous les maux qui touchent la société dite « d’accueil ».
Lorsque ces médias parlent des « immigrés », ils sous entendent les « maghrébins voleurs », les « arabes violeurs », les « musulmans terroristes ».
Ils éructent, sèment la souillure, la pourriture, la puanteur, perdent tout sens de la retenue et usent de toutes les horreurs.
Les rafles se succèdent.
Les humiliations.
Le mépris.
Les insultes.
Les ratonnades.
Les appels aux crimes pour « défendre la Civilisation contre la Barbarie ».
L’homme et son épouse regardent le jour qui s’en va et sentent la nuit qui arrive.
En arrivant dans ce pays, ils ont eu un hébergement dans une « cité », puis dans l’appartement d’où ils ont été expulsés pour un autre qu’ils vont devoir quitter.
Les uns partent.
Les autres arrivent.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
Flots de pensées.
Craindre Allaah et bien se comporter.[25]

 BOUAZZA


[1] Le r roulé, le Maroc.
[2] Voir texte intitulé Une femme″, daté du 13 avril 2010 (selon le calendrier dit grégorien).
[3] Deux filles et deux garçons.
[4] Si Allaah veut.
Dans quelques semaines, si tout se passe comme prévu, il sera grand-père ine chaa-e Allaah d’une petite fille et d’un autre petit-fils.
[5] Des Habitations dites à Loyers Modérés (H.L.M.) dont certaines servent plus particulièrement à entasser des familles issues du processus migratoire (principalement d’Afrique du Nord et d’autres régions d’Afrique).
[6] Nord- africains.
[7] Le terme sert depuis belle lurette, mais certains semblent le découvrir et en font un usage immodéré pour alimenter la confusion.
[8] Une grande partie, pour ne pas dire la presque totalité, est de nationalité française mais le mot immigrés est préféré parce que plus opérationnel et sous-entend islam ce qui, pour les ennemis de l’Islaam, permet toutes les agressions.
[9] Vocable de gauche.
[10] Terme de droite.
[11] Aljahl.
[12] Ne pas confondre avec Conscience Universelle.
[13] Albahr alabyad almoutawassite, la mer méditerranée.
[14] L’indépendance.
[15] Statut octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste, et qui s’est traduit dans les colonies par la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces "États", dont ceux dits musulmans, comme celui auquel il est rattaché, sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge, le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture, l’enfermement, la négation de l’être humain.
[16] Région montagneuse au nord de ce qui constitue les montagnes dites du Moyen Atlas″.
[17] Qui craignait de perdre le sultanat et de ne plus pouvoir se référer au protectorat consenti par le sultan pour justifier le massacre des populations imposé donc par l’obligation de protéger l’institution sultanienne (devenue avec l’indépendance dans l’interdépendance, monarchie héréditaire dite de droit divin).
[18] L’aviation a été terrifiante.
[19] Président de la République française durant l’occupation par l’Allemagne (Régime de Vichy, 1940-1944).
À cette époque, des résistants français fuyaient la France occupée pour s’installer au Maroc colonisé par la France qui envoyait des marocains colonisés (et des colonisés d’autres contrées) combattre l’Allemagne pour libérer la France !
Pendant la guerre dite de 14-18, la France colonialiste au Maroc envoyait déjà des marocains colonisés (et des colonisés d’autres contrées) combattre l’Allemagne pour libérer la France !
[20] Chef de l’État espagnol de 1939 à 1975.
[21] Aux USA,United States of America, les États unis d’Amérique, construits par des européens sur le génocide des Indiens, sur l’esclavage, sur le terrorisme, sur l’utilisation des bombes atomiques et sur d’innombrables autres massacres et destructions qui continuent partout.
À l’avant-garde du système impérialo-sioniste, les USA sont aujourd’hui la première puissance militaire et atomique à la tête des massacres de multiples populations, dans le monde entier.
Les massacres et les destructions contre les croyants et les croyantes atteignent des proportions inouïes.
Des croyants et des croyantes sont kidnappés dans n’importe quel pays, torturés, emprisonnés dans des lieux d’enfermement des plus sordides, des bagnes un peu partout, liquidés par tous les moyens, en violation totale des règles les plus élémentaires des droits humains.
Et les États-Unis d’Amérique, l’impérialo-sionisme, sont applaudis comme défenseurs de la liberté.
Les agressions, les crimes, les exterminations, les violations de tous les droits des populations et des individus à travers le monde, les massacres, les destructions, les anéantissements, les éliminations, les assassinats, le pillage, le vol, la cupidité, la domination, la répression, l’oppression, l’exploitation, le mensonge, le cynisme, la tromperie, la tricherie, les discriminations, les enlèvements, les enfermements, les tortures, les humiliations, le mépris, l’arrogance, le faux, l’imposture, c’est la défense de la liberté selon les applaudisseurs.
Aux USA donc, il y’a aussi le BAI (Bureau des Affaires Indiennes).
[22] Les noraf.
[23] Les Résistants sont appelés terroristes. L’Allemagne du national-socialisme les appelait ainsi également.
[24] Des jeunes qui n’ont rien coûté à la métropole et qui constituent une main d’oeuvre immédiatement exploitable et corvéable à merci.
[25] D’après Abou dharr et mo’aadh Ibn Jabal qu’Allaah les bénisse, le Messager d’Allaah sur lui la bénédiction et la paix a dit :
« Crains Allaah où que tu sois. Efface la mauvaise action par la bonne action et comporte toi avec les gens de bonne manière » (hadiite rapporté par Attirmidhii) .
Voir :

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