mercredi 10 octobre 2012

EUSKADI



À cette période et en dehors des vacances scolaires, nous pensions qu’il n’y aurait pas affluence.
Mais dès que la voie a été affichée, un mouvement de masse a suivi, prenant le train d’assaut.
Les gens bougent tout le temps.
D’habitude, dans des situations de ce genre, une fois dans le train, nous avons des difficultés à caser les bagages, en raison de l’insuffisance au sol, de l’espace prévu pour cela.
Cette fois, il y avait dans la voiture où nos places ont été réservées, la possibilité de mettre aussi des bagages en hauteur, ce qui est très rare depuis la mise en circulation des TGV,[1] il y a une trentaine d’années.
Nous avons donc pu mettre les nôtres facilement en bas.
Installés dans le sens inverse de la marche du train, nous y avons fait à peine attention : question d’habitude.
Les voyageurs qu’il m’était donné de voir étaient déjà plongés dans la lecture : livres et autres publications.
C’est une manie en France où pourtant il est dit que chaque habitant ne lit en moyenne, qu’un ou deux livres par an ![2]
D’autres personnes mangeaient, et certaines dormaient.
Il était presque 9 heures du matin.
Le départ de Paris, gare Montparnasse a eu lieu à 8 heures 29 minutes.
L’arrivée à la gare de Saint-Jean-de-Luz - Ciboure dans le pays Basque, au Sud-Ouest, sur la côte Atlantique, est prévue à 14 heures 9 minutes[3] ine chaa-e Allaah.[4]
Ce voyage a un lien avec l’un de nos deux petits-fils.
En effet, pendant certains jours où ses parents étaient pris par le travail, durant les mois de juillet, août et septembre, mon épouse s’est occupée de lui en attendant qu’il soit admis à la crèche.
Notre fils aîné et son épouse ont alors décidé de nous offrir un séjour au bord de la mer, en dehors de la période estivale durant laquelle nous fuyons les côtes surpeuplées.
En plus des fabuleux moments que la grand-mère a passé avec le petit-fils, nous bénéficions donc de cet autre bienfait.
Nous remercions le Créateur pour tout.
Le train berce mon épouse qui dort.
La campagne n’offre pas d’attrait particulier en ce mois d’octobre 2012.[5]
Le temps est nuageux.
J’ai dormi aussi, mais je me suis réveillé assez vite car j’avais froid.
J’ai remis ma veste pour me rendormir.
À 11 heures 40 minutes, arrêt à la gare de Bordeaux-Saint-Jean.
Vieux quais, vieilles constructions.
Beaucoup de personnes descendent.
Le voyage se poursuit.
Mon épouse lit « Sciences et avenir », une publication empruntée à la bibliothèque municipale.
En couverture, un gros titre : « Une nouvelle approche du cerveau ».
Les nuages s’estompent et le soleil se manifeste.
Étendue d’arbres, des conifères des deux côtés de la voie ferrée, un peu avant la gare de Dax, le deuxième arrêt, à 12 heures 52 minutes.
Le soleil s’affirme.
J’ai retiré ma veste.
Des vaches, des chevaux, des champs de maïs, et encore des arbres.
13 heures 28 minutes, arrêt à la gare de Bayonne.
La voiture est presque vide.
13 heures 56 minutes, la gare de Biarritz.
C’est le quatrième arrêt.
En plus de mon épouse et moi, il reste une troisième personne dans la voiture.
Soudain, la mer.
Almohiite alatlaçiyy.
L’Océan Atlantique.
14 heures 9 minutes, arrêt à la gare Saint-Jean-de-Luz – Ciboure.[6]
Je pense, presque instantanément, aux années soixante dix.
Je découvrais le militantisme en milieu étudiant, et j’apprenais beaucoup sur les luttes des populations, y compris celles de l’Euskadi,[7] le pays Basque.
Des luttes complexes contre les États français et espagnol.
Deux États fondés et assis sur des violations des droits des populations, sur des massacres, sur des destructions et autres agressions comme dans les territoires colonisés à travers le monde.
Autrefois, les colonialismes français et espagnol se sont mis d’accord pour se partager Lmghrib,[8] le pays où je suis né.
Ils se sont unis pour s’attaquer à ses populations.
Dans le Rif,[9] au Nord,[10] face à la Résistance victorieuse des Indigènes,[11] le colonialisme hispano-français,[12] soutenu par d’autres, a mobilisé une soldatesque de plusieurs centaines de milliers d’hommes, avec des moyens de destruction des plus sophistiqués[13] à l’époque, pour effacer la République naissante.
Horreurs.
Terreurs.
Carnages.
Abjections.
Orgies exterminatrices.
Avilissements.
Le criminel Pétain,[14] qui a dirigé les opérations, s’est illustré dans les massacres.
Le sinistre Franco[15] a fait ses premières classes d’assassin à cette époque.
L’un est devenu plus tard chef d’État en France.
L’autre en Espagne.
Les tueurs ont pavoisé.[16]
‘Abd Lkrim[17] a été arrêté et déporté en 1926 par le colonialisme français, dans l’Ile de la Réunion, un territoire colonisé et annexé par la France.
Partout, des populations ont connu des massacres.
Des crimes multiples.
Des pillages.
Des usurpations.
Des tortures.
Des viols.
Des transgressions sans nombre.
Des humiliations.
La terreur.
La désagrégation planifiée.
Le désarroi répandu.
Les déséquilibres provoqués.
L’harmonie mutilée.
La mémoire infectée.
La décomposition alimentée.
Selon l’expression consacrée, après avoir « pris possession de nos appartements » à Saint-Jean-de-Luz, mon épouse, s’aidant de la position du soleil, s’est chargée, pour l’accomplissement de la prière[18] de déterminer la direction.[19]
Nous avons effectué ensuite une sorte de tournée de repérage : Port, plage, et hiri Bihotza.[20]
Les eaux douces de la Nivelle[21]  se mélangent à l’Océan salé.
Ces eaux, toujours en mouvement, s’unissent par la miséricorde d’Allaah.
Après un parcours le long de la baie, sous un ciel bleu et un soleil caressant, nous nous sommes arrêtés dans un endroit où personne n’a eu l’idée de se mettre : Agréable baignade.
Un déjeuner sur les roches assez vite expédié, et nous voilà sur les hauteurs à Sainte-Barbe et plus loin.
Quelques mouettes y étaient.
M’est-il déjà arrivé de voir deux mouettes qui s’enlacent en l’air ?
Je m’arrête.
J’écoute.
Je regarde vers l’horizon lointain.
La mer et le ciel se rejoignent.
Des images, des couleurs, des mouvements jaillissent.
Des mots clairsemés s’associent.
Des souvenirs s’assemblent.
Des pensées se rassemblent.
Un temps et un espace Autres.
En rentrant, j’avais quelques galets qui vont retrouver à la maison ine chaa-e Allaah, ceux ramenés d’ailleurs.
Ramassés durant mes déplacements.
Le lendemain, je suis retourné à une rue[22] vers la plage pour recopier ce texte mis sur un panneau par la mairie :
« Les Kaskarots,[23]
Les villes de Saint-Jean-de-Luz et Ciboure ont vu subsister jusqu’à la fin du XX ème siècle, une population particulière dénommée Kaskarot[24] (Kaskar[25] : de peu de valeur).
Leur origine est mal connue : on les dit descendants des Cagots, ces « fils de goths » établis dans la région dès l’an mil ou de Bohémiens, d’Arabes errants après la défaite de Poitiers ou de Morisques expulsés d’Espagne.
Dès le Moyen-Âge, les Cagots sont exclus de la société car soupçonnés de transmettre la lèpre.
Repoussés à l’extérieur des villages, tenus de se marier entre eux, il leur est interdit de boire l’eau des fontaines ou de toucher les aliments.
En 1320, le roi[26] Philippe le Long les accuse d’empoisonner les puits et ordonne leur massacre.
La plupart se réfugient en Pays Basque, protégés par le Parlement de Navarre qui échappe à l’autorité royale.
Le bois étant la seule matière réputée ne pas transmettre la lèpre, ils deviennent bûcherons, charpentiers de bateaux, tonneliers…
Les femmes sont cartomanciennes ou guérisseuses et souvent de réputation légère. Elles seront les victimes toutes désignées des procès de sorcellerie du XVII ème siècle.
En 1684, le roi[27] Louis XIV lève les interdits pesant sur les Cagots contre le paiement de leurs impôts.
Au fil des années, ils se mêlent à la population de Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure, participant à la vie économique, centrée sur l’activité maritime.
Une communauté s’installe au quartier de la Barre, face à la rue de la République, dans les maisons ruinées par les inondations.
À la guerre ou à la pêche, les hommes sont absents plusieurs mois par an.
Les femmes occupent les emplois les plus durs, notamment dans la préparation et la vente des petits poissons.
Jusqu’en 1778, la pêche est débarquée directement sur la plage car les marchands de morue interdisent l’accès du port aux sardiniers.
Ce sont les Kaskarots[28] qui négocient le poisson directement au bateau et courent le vendre, panier sur la tête, au marché de Bayonne.[29]
La nuit, elles sont filetières, remaillant les filets des pêcheurs.
Quelques années plus tard, l’abondance des pêches fait naître toute une industrie, les Kaskarots[30] fournissent alors la main d’œuvre des « presseries » où l’on apprête et sale la sardine.
La rue de la République, dernier bastion des Kaskarots[31] se souvient de ces femmes hautes en couleur[32] qui ont marqué l’histoire de la ville ».
Le soir, dans la baignoire, j’aime me laisser couvrir par l’eau chaude, fermer les yeux, mettre de temps à autre la tête sous l’eau, arrêter de respirer.
Mes deux fils aimaient le faire aussi : Le font-ils encore ?
Ils le font en nageant.
Moi aussi.
Se balader dans Saint-jean-de-Luz ou à Ciboure, réserve une agréables surprise : Il y a des WC[33] partout.
Propres.
Avec du papier et de l’eau.
GRATUITES.
Ailleurs, trouver des toilettes publiques relève de l’exploit, et en cas de besoin pressant, chacun se démerde[34] comme il peut.
Les baignades dans notre coin épargné par la « foule » se sont poursuivies, même lorsqu’il a eu la visite de quelques personnes.
Lorsque je suis sur les roches, l’étendue de l’Océan devant moi, s’empare vite de mes pensées pour les transporter à Ddar lbida,[35] Agadiir,[36] ou Mhdiya[37] au Mghrib.
Au retour, je me laisse bercer un peu par le clapotis de l’eau avant de m’évader de nouveau sur ma gauche, et d’atteindre les hauteurs de la Rhune, la montagne que mon épouse m’a montrée plus d’une fois.[38]
Nous avons beaucoup marché pendant ce séjour.
D’innombrables choses ont été dites, se disent et continueront à se dire sur la marche.
Il m’est déjà arrivé d’en parler.
Certains parlent d’efficacité, de performance, de temps à compter, d’espace à mesurer, et mettent en relief la notion d’exploit et des choses de ce genre.
D’autres, plus centrés sur leur ego, cherchent à satisfaire le désir d’être remarqués et à assouvir la soif de paraître.
Ils se veulent admirables et ont souvent recours à n’importe quoi pour nourrir le besoin, pratiquement pathologique, d’être admirés.
Et lorsqu’ils pensent que la marche peut servir à ce qu’ils soient vus, alors ils marchent, histoire d’entretenir le nombrilisme.
Les approches au sujet de la marche changent donc selon les préoccupations, les interrogations, les orientations, les intérêts et les objectifs de chacun et de chacune.
Nous marchons en invoquant Allaah de nous mettre sur la bonne Voie.
Le jour de notre départ, j’ai régalé des pigeons de biscuits.
Lorsque j’observe des pigeons, je pense souvent à ce que j’ai écrit dans un texte daté de 1992 :
« Il se voit très âgé, avec des os qui fléchissent en lui et une tête allumée de blancheur, marchant à petits pas vers un petit jardin, un petit sac en plastique à la main avec des petits morceaux de pain, pour nourrir des pigeons.
Les pigeons l’entourent et au bout d’un moment, partent dans un envol majestueux et reviennent tournoyer au dessus de sa tête.
Il les fixe et son rictus devient un sourire, puis un rire qui se confond avec le claquement des ailes et lui rappelle les vagues de la mer ».[39]



BOUAZZA


[1] Trains à Grande Vitesse.
[2] Mais possède une bibliothèque qui dans d’autres contrées peut fournir en livres mille et une personnes.
[3] Je suis toujours impressionné par cette précision dans les départs et les arrivées des trains.
[4] Si Allaah veut.
[5] Selon le calendrier dit grégorien.
[6] Deux communes reliées par un pont, qui font partie du pays Basque, dans le département français des Pyrénées Atlantiques (64), en région Aquitaine.
[7] Se dit aussi Euchkadi.
[8] Le r roulé, le Maroc.
[9] Arriif (Le r roulé).
[10] Occupé par l’Espagne.
[11] À Anoual en particulier et ailleurs aussi.
[12] Qui craignait de perdre le sultanat et de ne plus pouvoir se référer à la notion dite de protectorat consenti par le sultan pour justifier le massacre des populations imposé donc par l’obligation de protéger ce sultanat (devenu avec l’indépendance dans l’interdépendance, monarchie héréditaire dite de droit divin).
[13] L’aviation a été terrifiante.
[14] Président de la République française durant l’occupation par l’Allemagne (Régime de Vichy, 1940-1944).
À cette époque, des résistants français fuyaient la France occupée pour s’installer au Maroc colonisé par la France qui envoyait des marocains colonisés (et des colonisés d’autres contrées) combattre l’Allemagne pour libérer la France !
Pendant la guerre dite de 14-18, la France colonialiste au Maroc envoyait déjà des marocains colonisés (et des colonisés d’autres contrées) combattre l’Allemagne pour libérer la France !
[15] Chef de l’État espagnol de 1939 à 1975.
[16] Ceux d’aujourd’hui pavoisent également.
[17] ‘Abd Alkariim Alkhattaabii (le r roulé), le dirigeant de la République naissante.
[18] Assalaate, assalaa, assala.
[19] Alqibla.
[20] Centre ville en langue basque.
[21] Fleuve qui se jette dans ce qui est appelé le golfe de Gascogne.
[22] Karrika en langue basque.
[23] Le K majuscule est de moi.
[24] Le K majuscule est encore de moi.
[25] Le K majuscule est toujours de moi.
[26] Le r minuscule est de moi.
[27] Le r minuscule est encore de moi.
[28] Je maintiens la majuscule.
[29] À une vingtaine de kilomètres.
[30] Je n’abandonne pas la majuscule.
[31] J’insiste plus que jamais sur la majuscule.
[32] C’est l’exotisme dans la conception municipale de Saint-Jean-de-Luz !
Des femmes hautes en couleurs.
C’est ainsi que certains se souviennent des populations maltraitées, méprisées, humiliées, opprimées, persécutées, éliminées.
[33] Water-Closet, toilettes, chiottes.
[34] On ne peut pas dire mieux″ !
[35] Le r roulé, Casablanca.
[36] Le r roulé, Agadir.
[37] Mehdia.
[38] Au Sud-Est, sur la côte d’Azur, à Saint-Raphaël, j’ai observé des rochers de la couleur du massif de l’Estérel.
Une couleur rougeâtre, flamboyante sous le bleu du ciel et les rayons du soleil.
La Rhune n’a pas cette couleur, mais a un peu la même façon de regarder la mer et qui m’émerveille.

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