À
cette période et en dehors des vacances scolaires, nous pensions qu’il n’y
aurait pas affluence.
Mais dès que la voie a été
affichée, un mouvement de masse a suivi, prenant le train d’assaut.
Les gens bougent tout le temps.
D’habitude, dans des situations
de ce genre, une fois dans le train, nous avons des difficultés à caser les
bagages, en raison de l’insuffisance au sol, de l’espace prévu pour cela.
Cette fois, il y avait dans la
voiture où nos places ont été réservées, la possibilité de mettre aussi des
bagages en hauteur, ce qui est très rare depuis la mise en circulation des TGV,[1] il y
a une trentaine d’années.
Nous avons donc pu mettre les
nôtres facilement en bas.
Installés dans le sens inverse de
la marche du train, nous y avons fait à peine attention : question
d’habitude.
Les voyageurs qu’il m’était donné
de voir étaient déjà plongés dans la lecture : livres et autres
publications.
C’est une manie en France où
pourtant il est dit que chaque habitant ne lit en moyenne, qu’un ou
deux livres par an ![2]
D’autres personnes mangeaient, et
certaines dormaient.
Il était presque 9 heures du
matin.
Le départ de Paris, gare
Montparnasse a eu lieu à 8 heures 29 minutes.
L’arrivée à la gare de
Saint-Jean-de-Luz - Ciboure dans le pays Basque, au Sud-Ouest, sur la côte Atlantique,
est prévue à 14 heures 9 minutes[3] ine
chaa-e Allaah.[4]
Ce voyage a un lien avec l’un de
nos deux petits-fils.
En effet, pendant certains jours
où ses parents étaient pris par le travail, durant les mois de juillet, août et
septembre, mon épouse s’est occupée de lui en attendant qu’il soit admis à la
crèche.
Notre fils aîné et son épouse ont
alors décidé de nous offrir un séjour au bord de la mer, en dehors de la
période estivale durant laquelle nous fuyons les côtes surpeuplées.
En plus des fabuleux moments que
la grand-mère a passé avec le petit-fils, nous bénéficions donc de cet autre
bienfait.
Nous remercions le Créateur pour
tout.
Le train berce mon épouse qui
dort.
La campagne n’offre pas d’attrait
particulier en ce mois d’octobre 2012.[5]
Le temps est nuageux.
J’ai dormi aussi, mais je me suis
réveillé assez vite car j’avais froid.
J’ai remis ma veste pour me
rendormir.
À
11 heures 40 minutes, arrêt à la gare de Bordeaux-Saint-Jean.
Vieux quais, vieilles constructions.
Beaucoup de personnes descendent.
Le voyage se poursuit.
Mon épouse lit « Sciences et
avenir », une publication empruntée à la bibliothèque municipale.
En couverture, un gros
titre : « Une nouvelle approche du cerveau ».
Les nuages s’estompent et le
soleil se manifeste.
Étendue d’arbres, des conifères
des deux côtés de la voie ferrée, un peu avant la gare de Dax, le deuxième
arrêt, à 12 heures 52 minutes.
Le soleil s’affirme.
J’ai retiré ma veste.
Des vaches, des chevaux, des
champs de maïs, et encore des arbres.
13 heures 28 minutes, arrêt à la
gare de Bayonne.
La voiture est presque vide.
13 heures 56 minutes, la gare de
Biarritz.
C’est le quatrième arrêt.
En plus de mon épouse et moi, il reste
une troisième personne dans la voiture.
Soudain, la mer.
Almohiite alatlaçiyy.
L’Océan Atlantique.
14 heures 9 minutes, arrêt à la
gare Saint-Jean-de-Luz – Ciboure.[6]
Je pense, presque instantanément,
aux années soixante dix.
Je découvrais le militantisme en
milieu étudiant, et j’apprenais beaucoup sur les luttes des populations, y
compris celles de l’Euskadi,[7] le
pays Basque.
Des luttes complexes contre les
États français et espagnol.
Deux États fondés et assis sur
des violations des droits des populations, sur des massacres, sur des
destructions et autres agressions comme dans les territoires colonisés à
travers le monde.
Autrefois, les colonialismes
français et espagnol se sont mis d’accord pour se partager Lmghrib,[8] le
pays où je suis né.
Ils se sont unis pour s’attaquer
à ses populations.
Dans le Rif,[9] au
Nord,[10] face
à la Résistance victorieuse des Indigènes,[11] le
colonialisme hispano-français,[12]
soutenu par d’autres, a mobilisé une soldatesque de plusieurs centaines de
milliers d’hommes, avec des moyens de destruction des plus sophistiqués[13] à
l’époque, pour effacer la République naissante.
Horreurs.
Terreurs.
Carnages.
Abjections.
Orgies exterminatrices.
Avilissements.
Le criminel Pétain,[14] qui
a dirigé les opérations, s’est illustré dans les massacres.
Le sinistre Franco[15] a
fait ses premières classes d’assassin à cette époque.
L’un est devenu plus tard chef
d’État en France.
L’autre en Espagne.
Les tueurs ont pavoisé.[16]
‘Abd Lkrim[17] a
été arrêté et déporté en 1926 par le colonialisme français, dans l’Ile de la
Réunion, un territoire colonisé et annexé par la France.
Partout, des populations ont
connu des massacres.
Des crimes multiples.
Des pillages.
Des usurpations.
Des tortures.
Des viols.
Des transgressions sans nombre.
Des humiliations.
La terreur.
La désagrégation planifiée.
Le désarroi répandu.
Les déséquilibres provoqués.
L’harmonie mutilée.
La mémoire infectée.
La décomposition alimentée.
Selon l’expression consacrée,
après avoir « pris possession de nos appartements » à
Saint-Jean-de-Luz, mon épouse, s’aidant de la position du soleil, s’est chargée,
pour l’accomplissement de la prière[18] de
déterminer la direction.[19]
Nous avons effectué ensuite une
sorte de tournée de repérage : Port, plage, et hiri Bihotza.[20]
Les eaux douces de la Nivelle[21] se mélangent à l’Océan salé.
Ces eaux, toujours en mouvement,
s’unissent par la miséricorde d’Allaah.
Après un parcours le long de la
baie, sous un ciel bleu et un soleil caressant, nous nous sommes arrêtés dans
un endroit où personne n’a eu l’idée de se mettre : Agréable baignade.
Un déjeuner sur les roches assez
vite expédié, et nous voilà sur les hauteurs à Sainte-Barbe et plus loin.
Quelques mouettes y étaient.
M’est-il déjà arrivé de voir deux
mouettes qui s’enlacent en l’air ?
Je m’arrête.
J’écoute.
Je regarde vers l’horizon
lointain.
La mer et le ciel se rejoignent.
Des images, des couleurs, des
mouvements jaillissent.
Des mots clairsemés s’associent.
Des souvenirs s’assemblent.
Des pensées se rassemblent.
Un temps et un espace Autres.
En rentrant, j’avais quelques
galets qui vont retrouver à la maison ine chaa-e Allaah, ceux ramenés
d’ailleurs.
Ramassés durant mes déplacements.
Le lendemain, je suis retourné à
une rue[22] vers
la plage pour recopier ce texte mis sur un panneau par la mairie :
« Les Kaskarots,[23]
Les villes de Saint-Jean-de-Luz
et Ciboure ont vu subsister jusqu’à la fin du XX ème siècle, une population
particulière dénommée Kaskarot[24]
(Kaskar[25] :
de peu de valeur).
Leur origine est mal
connue : on les dit descendants des Cagots, ces « fils de
goths » établis dans la région dès l’an mil ou de Bohémiens, d’Arabes
errants après la défaite de Poitiers ou de Morisques expulsés d’Espagne.
Dès le Moyen-Âge, les Cagots sont
exclus de la société car soupçonnés de transmettre la lèpre.
Repoussés à l’extérieur des
villages, tenus de se marier entre eux, il leur est interdit de boire l’eau des
fontaines ou de toucher les aliments.
En 1320, le roi[26]
Philippe le Long les accuse d’empoisonner les puits et ordonne leur massacre.
La plupart se réfugient en Pays
Basque, protégés par le Parlement de Navarre qui échappe à l’autorité royale.
Le bois étant la seule matière
réputée ne pas transmettre la lèpre, ils deviennent bûcherons, charpentiers de
bateaux, tonneliers…
Les femmes sont cartomanciennes
ou guérisseuses et souvent de réputation légère. Elles seront les victimes
toutes désignées des procès de sorcellerie du XVII ème siècle.
En 1684, le roi[27]
Louis XIV lève les interdits pesant sur les Cagots contre le paiement de leurs
impôts.
Au fil des années, ils se mêlent
à la population de Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure, participant à la vie
économique, centrée sur l’activité maritime.
Une communauté s’installe au
quartier de la Barre, face à la rue de la République, dans les maisons ruinées
par les inondations.
À
la guerre ou à la pêche, les hommes sont absents plusieurs mois par an.
Les femmes occupent les emplois
les plus durs, notamment dans la préparation et la vente des petits poissons.
Jusqu’en 1778, la pêche est
débarquée directement sur la plage car les marchands de morue interdisent
l’accès du port aux sardiniers.
Ce sont les Kaskarots[28] qui
négocient le poisson directement au bateau et courent le vendre, panier sur la
tête, au marché de Bayonne.[29]
La nuit, elles sont filetières,
remaillant les filets des pêcheurs.
Quelques années plus tard,
l’abondance des pêches fait naître toute une industrie, les Kaskarots[30]
fournissent alors la main d’œuvre des « presseries » où l’on apprête
et sale la sardine.
La rue de la République, dernier
bastion des Kaskarots[31] se
souvient de ces femmes hautes en couleur[32] qui
ont marqué l’histoire de la ville ».
Le soir, dans la baignoire,
j’aime me laisser couvrir par l’eau chaude, fermer les yeux, mettre de temps à
autre la tête sous l’eau, arrêter de respirer.
Mes deux fils aimaient le faire
aussi : Le font-ils encore ?
Ils le font en nageant.
Moi aussi.
Se balader dans Saint-jean-de-Luz
ou à Ciboure, réserve une agréables surprise : Il y a des WC[33]
partout.
Propres.
Avec du papier et de l’eau.
GRATUITES.
Ailleurs, trouver des toilettes
publiques relève de l’exploit, et en cas de besoin pressant, chacun se démerde[34]
comme il peut.
Les baignades dans notre coin
épargné par la « foule » se sont poursuivies, même lorsqu’il a eu la
visite de quelques personnes.
Lorsque je suis sur les roches,
l’étendue de l’Océan devant moi, s’empare vite de mes pensées pour les
transporter à Ddar lbida,[35]
Agadiir,[36] ou Mhdiya[37] au
Mghrib.
Au retour, je me laisse bercer un
peu par le clapotis de l’eau avant de m’évader de nouveau sur ma gauche, et
d’atteindre les hauteurs de la Rhune, la montagne que mon épouse m’a montrée
plus d’une fois.[38]
Nous avons beaucoup marché
pendant ce séjour.
D’innombrables choses ont été
dites, se disent et continueront à se dire sur la marche.
Il m’est déjà arrivé d’en parler.
Certains parlent d’efficacité, de
performance, de temps à compter, d’espace à mesurer, et mettent en relief la
notion d’exploit et des choses de ce genre.
D’autres, plus centrés sur leur
ego, cherchent à satisfaire le désir d’être remarqués et à assouvir la soif de
paraître.
Ils se veulent admirables et ont
souvent recours à n’importe quoi pour nourrir le besoin, pratiquement
pathologique, d’être admirés.
Et lorsqu’ils pensent que la
marche peut servir à ce qu’ils soient vus, alors ils marchent, histoire
d’entretenir le nombrilisme.
Les approches au sujet de la
marche changent donc selon les préoccupations, les interrogations, les
orientations, les intérêts et les objectifs de chacun et de chacune.
Nous marchons en invoquant Allaah
de nous mettre sur la bonne Voie.
Le jour de notre départ, j’ai
régalé des pigeons de biscuits.
Lorsque j’observe des pigeons, je
pense souvent à ce que j’ai écrit dans un texte daté de 1992 :
« Il se voit très âgé, avec
des os qui fléchissent en lui et une tête allumée de blancheur, marchant à
petits pas vers un petit jardin, un petit sac en plastique à la main avec des
petits morceaux de pain, pour nourrir des pigeons.
Les pigeons l’entourent et au
bout d’un moment, partent dans un envol majestueux et reviennent tournoyer au
dessus de sa tête.
Il les fixe et son rictus devient
un sourire, puis un rire qui se confond avec le claquement des ailes et lui
rappelle les vagues de la mer ».[39]
BOUAZZA
[1]
Trains à Grande Vitesse.
[2] Mais possède une
bibliothèque qui dans d’autres contrées peut fournir en livres mille et une
personnes.
[3] Je suis toujours
impressionné par cette précision dans les départs et les arrivées des trains.
[4] Si Allaah veut.
[5] Selon le calendrier dit
grégorien.
[6] Deux communes reliées par
un pont, qui font partie du pays Basque, dans le département français des
Pyrénées Atlantiques (64), en région Aquitaine.
[7] Se dit aussi Euchkadi.
[10] Occupé par l’Espagne.
[11] À
Anoual en particulier et ailleurs aussi.
[12] Qui
craignait de perdre le sultanat et de ne plus pouvoir se référer à la notion
dite de ″protectorat″ consenti par le sultan pour ″justifier″ le massacre des populations imposé donc par ″l’obligation″ de protéger ce sultanat (devenu avec ″l’indépendance dans
l’interdépendance″, monarchie
héréditaire dite de ″droit
divin″).
[13] L’aviation a été
terrifiante.
[14]
Président de la République française durant l’occupation par l’Allemagne
(Régime de Vichy, 1940-1944).
À cette époque, des ″résistants français″ fuyaient la France occupée pour
s’installer au Maroc colonisé par la France qui envoyait des marocains colonisés
(et des colonisés d’autres contrées) combattre l’Allemagne pour libérer la
France !
Pendant la guerre dite de ″14-18″,
la France colonialiste au Maroc envoyait déjà des marocains colonisés (et des
colonisés d’autres contrées) combattre l’Allemagne pour libérer la
France !
[15] Chef de l’État espagnol
de 1939 à 1975.
[16] Ceux d’aujourd’hui
pavoisent également.
[18] Assalaate, assalaa,
assala.
[19] Alqibla.
[20] Centre ville en langue
basque.
[21] Fleuve qui se jette dans
ce qui est appelé le golfe de Gascogne.
[22] Karrika en langue basque.
[28] Je maintiens la
majuscule.
[29] À une vingtaine de kilomètres.
[30] Je n’abandonne pas la
majuscule.
[31] J’insiste plus que jamais
sur la majuscule.
″Des
femmes hautes en couleurs″.
C’est ainsi que certains se
souviennent des populations maltraitées, méprisées, humiliées, opprimées,
persécutées, éliminées.
[33] Water-Closet, toilettes,
chiottes.
[37] Mehdia.
[38] Au Sud-Est, sur la côte d’Azur, à Saint-Raphaël, j’ai
observé des rochers de la couleur du massif de l’Estérel.
Une
couleur rougeâtre, flamboyante sous le bleu du ciel et les rayons du soleil.
La Rhune n’a pas cette couleur, mais a un peu la même
façon de regarder la mer et qui m’émerveille.
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