Arrivé en France en 1970[1] pour
poursuivre des études universitaires, j’y suis resté jusqu’en 1977.
Je me suis marié et avec mon
épouse, nous sommes devenus parents.
Accompagnés de notre fils, nous
avons quitté la France pour nous installer au Maroc.[2]
Au bout de quatre ans, au début
desquels nous avons eu un second fils, nous sommes revenus, en France où nous
sommes toujours.
Nos fils sont devenus parents, et
nous grands-parents.
De 1977 à 1981, nous étions
installés à Khémisset.[3]
Lorsque mon père[4] avait
pris sa retraite de « magistrat du parquet », deux ans après mon
retour, il s’était installé dans cette même « ville » pour ouvrir un
cabinet d’avocat.[5]
Nous avions loué une autre maison afin de libérer la sienne mise à
notre disposition lors de notre retour.
Mon père retrouvait de temps à autre dans des cafés quelques personnes,
souvent les mêmes, familiers de ces endroits, et échangeait avec eux sur
n’importe quoi, et principalement sur « Zmmour ».
Quand je passais devant l’un de ces endroits et que mon père y était,
il lui arrivait de m’appeler, car il cherchait à se servir de moi pour je ne sais
quoi, alors que je considérais [6] ses
échanges dans les cafés, comme des balivernes et du bavardage stérile.
Ces cafés étaient situés sur le boulevard qui faisait partie de la
route Meknès[7]-Rabat[8],
l’artère principale[9] de Khémisset.
À cette
époque, en dehors de mon foyer, je commençais à me sentir assailli, cerné,
encerclé par la perversion, l’avilissement, la fourberie, l’abjection, la
corruption, et autres.
Je me sentais emprisonné.
Mon père m’ayant appelé un jour
qu’il était dans un des cafés, j’ai accepté d’y rester et de prendre quelque
chose en compagnie du groupe des balivernes et du bavardage stérile.
Encore une fois, les échanges
portaient sur « Zmmour ».
Il m’a été demandé de donner mon
avis.
J’ai répondu, avec un rire nerveux,
que le mot « Zmmour » fait penser à « zmr »,[10]
mettant ainsi fin à « l’échange ».
En 1981, je suis revenu en
France, où mon épouse m’a devancé de quelques semaines, avec nos deux fils.
J’ai quitté le Maroc un matin.
En plein été.
En pleine lumière.
À
Casablanca,[11] j’ai pris un taxi pour
l’aéroport.
Quelques semaines après des
événements sanglants[12] qui
ont eu lieu dans cette ville et ailleurs.
Des hommes, des femmes, des enfants
en marche.
L’arsenal du maintien de l’ordre.
La panoplie répressive.
Des milliers d’arrestations.
Des camps de détention et de
torture.
Des blessés, des tués.
Des procès en vertu de la loi
colonialiste[13]sur les manifestations
contraires à l’ordre et réprimant les atteintes au respect dû à l’autorité.
Dans le taxi, j’ai eu subitement
l’impression de rouler sur des corps et d’éclabousser de sang tout ce qui m’entourait
J’avais hâte d’être dans l’avion.
Il n’y a pas longtemps, un de mes
neveux, journaliste et enseignant universitaire,[14] m’a signalé
des pages d’un texte[15] de
Marcel Lesne sur « Zmmour ».[16]
En lui envoyant un mot, j’ai
parlé de l’épisode de « zmr » en précisant que parmi les légendes que
Marcel Lesne passe en revue pour essayer de déterminer « l’origine »
des populations « Zmmour », celle qui a retenu mon attention, est
celle qui lie le nom « Zmmour » à un arbre rustique et vigoureux.
Lorsque j’ai parlé de
« zmr », je visais en fait, sans connaître cette légende de l’arbre
rustique et vigoureux, ce qu’il faut élaguer, afin que l’arbre universel
s’enracine fermement dans la terre et s’élance encore et encore vers le ciel.
En parlant ainsi à mon neveu, je
n’ai pas manqué de rappeler qu’il est facile de « blablater » à
posteriori, mais j’ai tenu à souligner qu’il y a du vrai dans ce que j’ai dit,
même si à l’époque je l’ai peut-être exprimé autrement.[17]
BOUAZZA
[1] Selon le calendrier dit
grégorien.
[4] Son existence ici-bas
s’est achevée le samedi 4 octobre 2008.
[5] Dont je me suis beaucoup
occupé en qualité d’avocat stagiaire.
[6] Et que je considère
toujours.
[7] Mknaas.
[8] Rbaate (le ″r″ roulé).
[9] Avec
l’autoroute qui n’existait pas à l’époque, la clientèle de beaucoup
d’automobilistes en voyage, ne s’arrête plus à Lkhmiçaate.
Le ″jeu
de mots″ était tentant, et je
n’ai pas hésité à y recourir.
En disant ″Zmmour″
fait penser à ″zmr″, j’ai dit que ″Zmmour″
fait penser à la merde, à ce qui est emmerdant, à ce qui est chiant, et
à quelque chose de ce genre.
[11] Ddaar lbida, addaar
albaydaa-e, la maison blanche (le ″r″ roulé).
[12] Qui ont eu lieu en juin
1981.
[13] Loi du 29 juin 1935, mise
en place par la France colonialiste au Maroc colonisé, et appliqué par le
système de ″l’indépendance dans
l’interdépendance″ contre les
indigènes.
″Indépendance dans l’interdépendance″ : Statut octroyé par le
colonialisme, l’impérialo-sionisme, et qui s’est traduit dans les colonies par
la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou
moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des
métropoles et autres employeurs.
Ces "États", dont ceux dits ″musulmans″,
sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la tromperie, la corruption,
l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge, le pillage, l’oppression,
l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture, l’enfermement, la négation de
l’être humain.
[14] Qui ne manque pas de
venir me voir, et de passer avec moi quelques jours lorsqu’il est de passage en
France.
[15] À lire sur internet.
[16] Il s’agit de pages sur sa
thèse complémentaire pour le doctorat ès lettres à la faculté des Lettres et
des Sciences Humaines de Paris en 1960, sous le titre ″Histoire d’un groupement berbère, les Zemmour″.
Sa thèse principale a pour titre ″Évolution d’un groupe berbère, les
Zemmour″.
Elle a été publiée en 1959.
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