vendredi 4 janvier 2013

« ZMR »

Arrivé en France en 1970[1] pour poursuivre des études universitaires, j’y suis resté jusqu’en 1977.
Je me suis marié et avec mon épouse, nous sommes devenus parents.
Accompagnés de notre fils, nous avons quitté la France pour nous installer au Maroc.[2]
Au bout de quatre ans, au début desquels nous avons eu un second fils, nous sommes revenus, en France où nous sommes toujours.
Nos fils sont devenus parents, et nous grands-parents.
De 1977 à 1981, nous étions installés à Khémisset.[3]
Lorsque mon père[4] avait pris sa retraite de « magistrat du parquet », deux ans après mon retour, il s’était installé dans cette même « ville » pour ouvrir un cabinet d’avocat.[5]
Nous avions loué une autre maison afin de libérer la sienne mise à notre disposition lors de notre retour.
Mon père retrouvait de temps à autre dans des cafés quelques personnes, souvent les mêmes, familiers de ces endroits, et échangeait avec eux sur n’importe quoi, et principalement sur « Zmmour ».
Quand je passais devant l’un de ces endroits et que mon père y était, il lui arrivait de m’appeler, car il cherchait à se servir de moi pour je ne sais quoi, alors que je considérais [6] ses échanges dans les cafés, comme des balivernes et du bavardage stérile.
Ces cafés étaient situés sur le boulevard qui faisait partie de la route Meknès[7]-Rabat[8], l’artère principale[9] de Khémisset.
À cette époque, en dehors de mon foyer, je commençais à me sentir assailli, cerné, encerclé par la perversion, l’avilissement, la fourberie, l’abjection, la corruption, et autres.
Je me sentais emprisonné.
Mon père m’ayant appelé un jour qu’il était dans un des cafés, j’ai accepté d’y rester et de prendre quelque chose en compagnie du groupe des balivernes et du bavardage stérile.
Encore une fois, les échanges portaient sur « Zmmour ».
Il m’a été demandé de donner mon avis.
J’ai répondu, avec un rire nerveux, que le mot « Zmmour » fait penser à « zmr »,[10] mettant ainsi fin à « l’échange ».
En 1981, je suis revenu en France, où mon épouse m’a devancé de quelques semaines, avec nos deux fils.
J’ai quitté le Maroc un matin.
En plein été.
En pleine lumière.
À Casablanca,[11] j’ai pris un taxi pour l’aéroport.
Quelques semaines après des événements sanglants[12] qui ont eu lieu dans cette ville et ailleurs.
Des hommes, des femmes, des enfants en marche.
L’arsenal du maintien de l’ordre.
La panoplie répressive.
Des milliers d’arrestations.
Des camps de détention et de torture.
Des blessés, des tués.
Des procès en vertu de la loi colonialiste[13]sur les manifestations contraires à l’ordre et réprimant les atteintes au respect dû à l’autorité.
Dans le taxi, j’ai eu subitement l’impression de rouler sur des corps et d’éclabousser de sang tout ce qui m’entourait
J’avais hâte d’être dans l’avion.
Il n’y a pas longtemps, un de mes neveux, journaliste et enseignant universitaire,[14] m’a signalé des pages d’un texte[15] de Marcel Lesne sur « Zmmour ».[16]
En lui envoyant un mot, j’ai parlé de l’épisode de « zmr » en précisant que parmi les légendes que Marcel Lesne passe en revue pour essayer de déterminer « l’origine » des populations « Zmmour », celle qui a retenu mon attention, est celle qui lie le nom « Zmmour » à un arbre rustique et vigoureux.
Lorsque j’ai parlé de « zmr », je visais en fait, sans connaître cette légende de l’arbre rustique et vigoureux, ce qu’il faut élaguer, afin que l’arbre universel s’enracine fermement dans la terre et s’élance encore et encore vers le ciel.
En parlant ainsi à mon neveu, je n’ai pas manqué de rappeler qu’il est facile de « blablater » à posteriori, mais j’ai tenu à souligner qu’il y a du vrai dans ce que j’ai dit, même si à l’époque je l’ai peut-être exprimé autrement.[17]
 
BOUAZZA


[1] Selon le calendrier dit grégorien.
[2] Almaghrib, Lmghrib (le r roulé).
[3] Lkhmiçaate, ville en région Zmmour (le r roulé), Zemmour.
[4] Son existence ici-bas s’est achevée le samedi 4 octobre 2008.
[5] Dont je me suis beaucoup occupé en qualité d’avocat stagiaire.
[6] Et que je considère toujours.
[7] Mknaas.
[8] Rbaate (le ″r″ roulé).
[9] Avec l’autoroute qui n’existait pas à l’époque, la clientèle de beaucoup d’automobilistes en voyage, ne s’arrête plus à Lkhmiçaate.
[10] Le r roulé.
Le jeu de mots était tentant, et je n’ai pas hésité à y recourir.
En disant Zmmour fait penser à zmr, j’ai dit que Zmmourfait penser à la merde, à ce qui est emmerdant, à ce qui est chiant, et à quelque chose de ce genre.
[11] Ddaar lbida, addaar albaydaa-e, la maison blanche (le ″r″ roulé).
[12] Qui ont eu lieu en juin 1981.
[13] Loi du 29 juin 1935, mise en place par la France colonialiste au Maroc colonisé, et appliqué par le système de l’indépendance dans l’interdépendance contre les indigènes.
Indépendance dans l’interdépendance″ : Statut octroyé par le colonialisme, l’impérialo-sionisme, et qui s’est traduit dans les colonies par la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces "États", dont ceux dits musulmans, sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge, le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture, l’enfermement, la négation de l’être humain.
[14] Qui ne manque pas de venir me voir, et de passer avec moi quelques jours lorsqu’il est de passage en France.
[15] À lire sur internet.
[16] Il s’agit de pages sur sa thèse complémentaire pour le doctorat ès lettres à la faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Paris en 1960, sous le titreHistoire d’un groupement berbère, les Zemmour.
Sa thèse principale a pour titre Évolution d’un groupe berbère, les Zemmour.
Elle a été publiée en 1959.

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